à corps perdu
Quelques semaines après avoir perdu l'usage de mes jambes, j'étais allongée sur mon lit d'hôpital et regardais par la fenêtre les écureuils passer de branche en branche, quand soudainement je pensais: "mais, je ne suis pas ce corps".
Je n'y avais jamais songé auparavant, je ne m'étais même jamais questionné à ce sujet.
Pourtant, à ce moment précis, une sensation de soulagement et même de libération totale s'emparèrent de moi: ce qui m'arrivait n'avait plus aucune importance.
Cet état dura dans son intensité peut-être seulement quelques minutes, mais il détermine aujourd'hui toute mon existence.
Mon expérience du corps est désormais si différente: mes sensations sont biaisées, mes mouvements limités
et je vis quasiment chaque jour dans la douleur.
Cependant, je sais qu'un jour je devrai le rendre, qu'il est là aujourd'hui et je sais que j'aime sentir le soleil chauffer ma peau.
Que mon corps est vivant comme un arbre et qu'il est bientôt mort.